UND

Publisher:

Première:

2024, Ensemble TM+, Gaëlle Méchally sop., Laurent Cuniot cond., Opera House of Massy, France.

Year

2023-24

Commission:

Ministry of Culture, France

Duration:

1 h 20 min

UND – 2024
for soprano, flute, clarinet (Bb & bass), sax (sop, ten &bar), violin, cello, percussion (1), piano and electronics

Und is waiting for someone. He is late. She is suspended in this time outside of time. The bell rings. Is it him? Is it a love story or a fight to the death? Und inhabits the wait through language, while outside the world becomes more and more oppressive, … then her most intimate and radical contradictions emerge.
Und is a solo symphony, a monologue where each word reverberates and resonates in the score. Howard Barker’s poetic and brutal writing, Daniel D’Adamo’s powerful music, trace the suspended journey, both unreal and magnetic, of a woman who is transforming herself; both victim and instigator, she questions, analyzes, provokes, … Daniel D’Adamo weaves a music and sound material linked to this sprechgesang whose disquiet, fragility, and imbalance he continually revives… To love is to destroy oneself or to (re)build oneself? It is also, in filigree, the story of one of the greatest contemporary tragedies that is preparing to enter the Myth.

Julie Delille – On UND:
Und is a woman who is waiting
Entity, figure or … Motionless,
Standing, in the middle of a disaster.
Und is an answer in the form of a question
Darkness, absurdity and arbitrariness inhabit her world
of infra-life, of beyond the grave, of imperceptible movements.
Barker sketches and draws the contours of a female figure locked up
Victim or torturer: prisoner of her own situation
Und struggles and in doing so, tightens the bonds that hinder her.
(…)
The word-song that then unfolds in space is what survives, art is what remains. As the myth remains in memories.

Daniel D’Adamo on the music of UND:
Und is alone on stage.
Those who surround her are only present through sound, through music. She can become a lover, a place, a destiny: she is the outside.
But sound is also the inside: it is embodied in her voice, in her relationship to the invisible, in her mystery, in the states she goes through.
Music is both accompaniment and threat: the danger is sonic.
Hearing Und means entering a rhythm made of frenetic densities and extremely fragile  pacings. A back and forth, a swing between two states of her word-song.
Barker’s sound flow is terrifying. It constitutes the axis of Und’s music: rhythm, mechanicity, threatening textures, obsessive circularities, sometimes barely a fragile and tiny sound, followed by…
Like the imaginary line that Und seems to travel eternally, the musical thread stretches between the unreal and the real, life and death, in transitory and fragile balance crossing worlds.

UND – 2024
pour soprano, flûte, clarinette (Bb & bass), sax (sop, ten &bar), violon, violoncelle, percussion (1), piano et éléctronique

Und attend quelqu’un
. Il est en retard. Elle est suspendue à ce temps hors du temps. La cloche sonne. Est-ce lui ? S’agit-il d’une histoire d’amour ou d’un combat à mort ? Und habite l’attente par le langage, tandis qu’au dehors le monde se fait de plus en plus oppressant, … surgissent alors ses contradictions les plus intimes et radicales.
Und est une symphonie en solo, un monologue où chacun des mots se répercute et résonne dans la partition. L’écriture poétique et brutale d’Howard Barker, la musique puissante de Daniel D’Adamo, tracent le parcours suspendu, à la fois irréel et magnétique d’une femme qui se transforme ; à la fois victime et instigatrice, elle interroge, analyse, provoque, … Daniel D’Adamo tisse une matière musicale et sonore liée à ce parlé-chant dont il relance continument l’intranquillité, la fragilité, le déséquilibre… Aimer, c’est se détruire ou se (re)construire ? C’est aussi, en filigrane, l’histoire d’une des plus grandes tragédies contemporaines qui se prépare à entrer dans le Mythe.

Julie Delille – A propos de UND:
Und est une femme qui attend
Entité, figure ou … Immobile,
Debout, au milieu d’un désastre.
Und est une réponse en forme de question
Obscurité, absurdité et arbitraire peuplent son monde
d’infra-vie, d’outre-tombe, d’imperceptibles mouvements.
Barker ébauche et dessine les contours d’une figure féminine enfermée
Victime ou tortionnaire : prisonnière de sa propre situation
Und se débat et ce faisant, resserre les liens qui l’entravent.
(…)
La parole-chant qui se déploie alors dans l’espace est ce qui survit, l’art est ce qui reste. Comme le mythe reste dans les mémoires.

Daniel D’Adamo – A propos de la musique de UND :
Und est seule sur scène.
Ce et ceux qui l’entoure(nt) ne sont présents que par le son, par la musique. Elle peut se faire amant, lieu, destin : elle est le dehors.
Mais le son est aussi le dedans : il s’incarne dans sa voix, dans sa relation à l’invisible, dans son mystère, dans les états qu’elle traverse.
La musique est à la fois accompagnement et menace : le péril est sonore.
Entendre Und signifie entrer dans un rythme fait de densités frénétiques et d’espacements extrêmement fragiles. Un va et vient, un balancement entre deux états de sa parole-chant.
Le flux sonore de Barker est terrifiant. Il constitue l’axe de la musique de Und : rythme, mécanicité, textures menaçantes, circularités obsessionnelles, parfois à peine un son fragile et minuscule, suivi de…
Comme la ligne imaginaire qu’Und semble parcourir éternellement, le fil musical se tend entre l’irréel et le réel, la vie et la mort, en équilibre transitoire et fragile traversant les mondes.

UND de Howard Barker
Libretto
Adaptation de la traduction française Daniel D’Adamo et Julie Delille
Traduction française Vanasay Khamphommala

(Une pièce. Un plateau à thé, préparé. Une femme attend un homme)
En retard
(Pause.)
Il est en retard
(Pause.)
Un peu
Juste un peu
Mais en retard
(Pause.)
Ce retard infime est-il le début d’un retard considérable ou alors
(Pause.)
Simplement infime ?
(Pause.)
Un retard infime qui perdra toute importance au moment où il
(Pause.)
Toujours infime
(Pause.)
Plus si infime maintenant
Voilà le dilemme pour un homme comme lui ce retard qui pourrait indiquer le mépris de règles insignifiantes conventionnelles stupides et contraignantes auxquelles tant de personnes parmi nous sont assujetties pourrait aussi suggérer
(Soudain, un miroir descend des cintres. Il est suspendu devant son visage, et le révèle au public. Elle s’examine.)
Oh
Oh
Oh
Ne suis-je pas d’une extatique
D’une enivrante
D’une convulsive perfection qui
MÈCHE REBELLE
(Elle rit.)
Mais non
Mais non
Allez-vous-en
Je n’ai pas appelé
Sortez
Sortez
Les domestiques oh
N’ont pas d’humour
TRÈS EN RETARD À PRÉSENT
(Pause.)
Je suis le vestige d’une classe moribonde dont l’archaïsme provoque
A TOUJOURS PROVOQUÉ PEUT-ÊTRE
La fascination
Je parle des manières
(Pause.)
Dont il est apparemment cruellement dépourvu
(Pause.)
ENLEVEZ CE PLATEAU
(Elle tourne à l’intérieur de sa robe, présentant au public sa tête et ses épaules.)
Non non non je ne suis pas furieuse
Pourquoi le serais-je
Le monde est étrange moi non
Le monde un spectacle avilissant moi non
NE L’ENLEVEZ PAS
(Pause.)
L’enlever ce serait lui donner de l’importance comme s’il m’était insupportable de le voir non qu’il prenne la poussière un jour peut-être quelqu’un le prendra demain peut-être à moins que le chat ne le fasse tomber oh ciel dirai-je le sucre oh ciel le lait sur les meubles depuis combien de temps ce plateau aura-t’il été laissé à l’abandon comme un court de tennis en hiver quand la raison de sa présence ici aura disparu des mémoires.
(Pause.)
Il vient prendre les juifs
(Pause.)
Cette robe oh cette robe oui de toutes mes robes la plus extravagante je ne le cacherai pas je l’ai choisie pour
(Pause.)
ÉBLOUIR
(Pause.)
Si tant est qu’un tel homme puisse-
Si tant est qu’un tel homme soit
EMPORTEZ CE PLATEAU
(Pause.)
Je passe ces ordres personne ne vient
Les morts avaient une certaine beauté nonobstant les convulsions de leur visage les torsions de leurs membres l’éviscération une certaine beauté disait-il
(Une cloche au loin.)
C’EST LUI C’EST LA CLOCHE
En retard
En retard
QU’IL ATTENDE LÀ SI C’EST BIEN LUI QU’IL PATIENTE
Je suis
Bien que préparée
À présent
Tout

Fait
Désemparée
Quel raffinement oh quel raffinement sinon dans les manières du moins
dans ces subtilités mondaines qui mettent vos nerfs à vif
CE MOMENT PARFAIT POURRAIT ANÉANTIR MES DÉFENSES
(Elle se tient immobile. La cloche retentit.)
N’y allez pas
N’y allez pas
Il est épuisé
Il
Si c’est bien lui
Tremble peut-être à l’idée que cette porte ne s’ouvre jamais
Son retard infime mais excessif
a causé en moi une blessure profonde et inextinguible
La manipulation
Oh je connais la manipulation
C’est un art
(La cloche.)
C’EST DE LA COLÈRE À PRÉSENT
(Pause.)
C’est
(Pause.)
C’est une négociation
POURQUOI VOUS N’Y ALLEZ PAS
CE N’EST PAS LUI C’EST UN RÔDEUR
À moins que
À moins que
(La cloche.)
ON NE TRAITE PAS AINSI UNE CLOCHE-
Pourquoi ne pas y aller
Pourquoi ne pas l’arrêter
Dites que le cloche va
Dites que la cloche n’est que
Non
Dites que nous paierons
(Pause.)
Les Juifs l’épuisent sans doute
JE VAIS LUI ÉCRIRE
OUI
JE LE PEUX
je pourrais lui envoyer un billet sarcastique bien sûr écrit d’une main négligente taché d’encre comme si le mépris m’imprégnait m’emplissait au point de jaillir et d’éclabousser le papier oh oui je sais être blessante
(Pause.)
La patience des Juifs m’émerveille
(La cloche.)
VOYEZ IL N’EST PAS PARTI
Je n’aime pas cela
Voilà qui commence à ressembler à
Il n’y a pas d’autre mot
UN DÉFI
Ce n’est pas grave
Oh je sais faire
Oui
ela ne saurait troubler ma
Pas du tout
Je ne m’oppose pas à ces comment dire ce ne sont ni des jeux ni des tentatives de séduction
MANIFESTATIONS D’UNE VOLONTÉ FROISSÉE
DÉCROCHEZ LA CLOCHE
Je suis assiégée
Je vais verser le thé
Pas le sien
Le mien
Il est froid
Et alors
Le thé froid
Le thé froid seule
Je préfère cela
Cela me va très bien
Je verse
Je tourne
Parfaite après-midi
J’ai si rarement besoin de compagnie
(Bris de verre… UND reste immobile… seuls ses yeux trahissent son anxiété… elle boit une nouvelle gorgée.)
Le siège de Troie dut j’imagine être un enfer
Dix longues années des familles exterminées
À Paris ils mangèrent les éléphants
Et à Pleven ils moururent de froid
Assiéger c’est désirer
D’un désir
Semblable

La
Fureur
(Second bris de verre.)
RACCROCHEZ LA CLOCHE
Je préfère la cloche
De loin
Dites-le-lui
Laissez-lui un message
Dites
LE LAIT
LE THÉ
OH
NON
OH
NON
NON
Ne faites pas attention à moi
Occupez-vous juste de la cloche
D’ABORD LA CLOCHE PUIS MES HABITS-
(La cloche sonne.)
BEAU TRAVAIL
(Pause.)
Ils accomplissent leurs tâches
(Pause.)
Je dis beau travail
(Pause.)
Beau travail dis-je mais
(Pause.)
La cloche
(Pause.)
La question s’impose
(Pause.)
A-t-elle jamais été décrochée ?
(Pause.)
Et mes genoux qui sont trempés
(Pause.)
Trempés
(Pause.)
Mes genoux
(Pause.)
MA ROBE
UN TORCHON
UNE ÉPONGE
Je ne suis pas une aristocrate je suis une Juive
(Bris de verre)
LE COURANT D’AIR
CONDAMNEZ LES FENÊTRES
SINON AVEC DES PLANCHES DU MOINS AVEC DU PAPIER JOURNAL
Vite il fait froid ici
Tant pis pour mes genoux
Mes genoux peuvent attendre
Plus tard les genoux
J’ai un mouchoir
Toujours
Dans ma manche
(Pause.)
C’est de la fumée
(Pause.)
De la fumée
(Pause.)
EST-CE BIEN DE LA FUMÉE ?
(Pause. Les mouvements de ses yeux trahissent son anxiété. Elle inspire.)
Comme il souhaite provoquer en moi la panique avec quelle passion
Je pourrais m’affoler
Je pourrais si facilement lui donner satisfaction
LE TÉLÉPHONE FONCTIONNE-T-IL AU FAIT
Je le pourrais mais je ne le ferai pas
ARRÊTEZ CE QUE VOUS FAITES
LAISSEZ LES JOURNAUX
TANT D’INSTRUCTIONS SOUVENT CONTRADICTOIRES JE SAIS
LAISSEZ LÀ LES FENÊTRES ET LES JOURNAUX ET ALLEZ ME CHERCHER LE TÉLÉPHONE
(Elle inspire).
Quelle odeur horrible
Des vapeurs
Des vapeurs de quoi je l’ignore
(Elle tousse.)
J’ai les larmes aux yeux
Je pleure
Absurde
(Elle porte un mouchoir à ses yeux.)
Parfaitement absurde
CETTE CHALEUR
Il fait une chaleur ici ou c’est moi non c’est moi j’ai chaud-
JE VAIS ME DÉSHABILLER UN PEU
DÉSHABILLEZ-MOI
LAISSEZ LÀ LES FENÊTRES ET
Étrange
Étrange
C’est son choix non le mien il aime peut-être que son hôte soit
VITE
À moitié nue
(Pause.)
La fumée toutefois
(Pause.)
La fumée
J’ADMIRE CEUX QUI
PLUS ENCORE QUE LE TALENT OU LA BEAUTÉ
CEUX QUI
Simplement
S’avancent
S’avancent
S’avancent
Dans
(Pause.)
L’horreur
(Pause.)
Nous étions faits l’un pour l’autre
Oui
(Bruit d’une masse fracassant une porte. Elle est immobile. Son visage trahit son angoisse.)
Il est
Oh si
Implacable
(Elle rit. Elle s’arrête. Nouveau bruit de masse.)
Cette porte n’est pas
Je l’ai ouverte mille fois
Faite pour être
(La cloche.)
La cloche…!
La cloche est
La cloche est
MUSIQUE
(Elle rit.)
Laissez-le faire
ELLE EST FAITE POUR ÊTRE SONNÉE APRES TOUT
(La cloche retentit de nouveau.)
Oui
Très cher…!
(Et de nouveau.)
Il fait preuve d’une extraordinaire aptitude à la violence et
(De nouveau.)
À la tendresse
(De nouveau.)
Je dis tendresse
Cela pourrait être
(De nouveau.)

Plus tendre encore

(De nouveau.)

Oh, c’est de la tendresse
Oui

(De nouveau.)

Oh, c’est à peine audible… comme si… comme si c’était… un adieu…

NE LE LAISSEZ PAS PARTIR

(Pause.)

Que c’est calme et sans odeur stagnant et sous le verre les herbes folles ont poussé

lorsque le lierre aura recouvert la cheminée nous aurons à jamais disparu

les quelques enfants qui gardaient un vague souvenir de la maison qui se tenait ici ont pris le train certains sont morts qu’un seul ait survécu reste matière à spéculation les filles ont été envoyées à l’usine et ces usines étaient vous savez des usines les garçons qui ont rejoint l’armée sont à n’en pas douter ceux qui ont eu en dépit des victimes le plus de chance c’est vrai les garçons

(Pause.)

On croirait être assis au fond d’une mare

(Pause.)

Une mare sans vie

(Pause.)

Une mare dans laquelle

(Pause.)

Empoisonnée peut-être ou d’une profondeur si démesurée qu’aucun organisme aucune végétation aucune

Seules quelques reliques de temps moins heureux

Des plats en argent une broche un crâne de cheval des objets balancés par ceux qui ont fui les membres épars de ceux qui ont causé leur fuite

(Pause.)

les persécutés et les persécuteurs unis dans une même tombe humide une même

(Pause.)

PORTEZ-LUI UNE LETTRE D’EXCUSE

Il est extrêmement occupé il vous faudra

Persévérer
Inutile d’errer sans but
Inutile de parler à ceux qui ne savent pas

On reconnaît toujours ceux qui savent toujours

Ceux qui savent ont un air

L’autorité se voit

Soyez toujours en premier dans la file

LA BONNE FILE BIEN SÛR PAS LA

Vous savez qu’il y a file et file

OH LES FILES… !

(Elle rit. Pause.)                                                        

Elle doit être donnée en main propre

(Un plateau sur lequel sont posés du papier, une plume

et un encrier fait son apparition, observant un

mouvement pendulaire. Elle l’observe. Il s’immobilise.)

Pas une longue lettre

(Elle prend la plume posée sur le plateau.)

Au contraire un seul mot
Oui
Oh terrible pouvoir du seul mot
Le noir

Griffonné
Sur
Le blanc
                                                           (Pause.)
Mais quel mot

(Pause.)

Quel mot

 

prenez CHIEN

(Elle griffonne.)

Non pas chien chien sous-entendrait un ressentiment chien lui laisserait entendre qu’il m’a offensée non pas chien j’ai pris chien comme ça j’ai pris chien au hasard lit aurait le même effet prenez lit

(Elle griffonne une nouvelle page.)

Mais non pas lit

Non
Pas lit

ELLE PENSE QU’ELLE EST UN LIT

Ce n’est pas vrai

Je ne suis le lit de personne

DISONS HERBE

(Elle griffonne.)

Une herbe inclinée selon un angle si raide couchée contre le sol avec une telle violence et désordonnée avec une telle passion qu’il ne pourra manquer de

(Elle prend une autre feuille).

Ou l’inverse

UNE HERBE TOMBANT À LA RENVERSE

Une herbe s’écoulant de la page

Herbe

Oui

(Elle éclate en sanglots profonds. Son râle résonne à

travers la maison. L’écho s’arrête comme s’il anticipait

le son qui allait le suivre. Un plateau apparaît, observant

un balancement hypnotique. Une lettre est posée

dessus… UND est parfaitement immobile… le mouvement pendulaire du plateau finit par s’interrompre.)

Oh
MOUCHOIR
Celui-ci est
Regardez
Trempé
MOUCHOIR

(Elle prend la lettre sur le plateau. Elle retire un coupe

papier de ses vêtements. Elle attend, tenant l’objet

immobile.)

Il s’agit

J’en suis sûre

D’un message d’un seul mot

Oh oui

Il sait aller à l’essentiel

(D’un trait, elle ouvre l’enveloppe. Elle en ôte le

contenu, sans déplier la feuille.)

Pour un tel homme un mot est

(Elle jette la lettre et l’enveloppe horrifiée sur le plateau.)

MOUCHOIR

J’en arrive à penser parfois qu’elle n’est pas là

            (un coup d’œil à la lettre)

JUIVE

Oh j’écris herbe il écrit Juive

NE VOUS DÉRANGEZ PAS J’UTILISERAI MA MANCHE

NON J’AIME ÇA

TOUT VA BIEN JE PRÉFÈRE LE THÈ FROID

JE DÉCHIRERAI MA ROBE JE VOUS REMERCIE

(Pause.)

Comme je hais la simplicité ses petites règles ses deux et deux font quatre ses noir et blanc ses œil pour œil oh quel ennui toujours il écrit Juif et toujours j’écris herbe combien de temps cela va-t-il durer aussi longtemps j’imagine que cela durera excellent excellent excellent

 

Prenez

Mon

Message

MAINTENANT

MAINTENANT

MAINTENANT                                    

                                                           (Pause.)

Quel est ce son ?

(Pause.)

Je ne connais pas ce son

(Pause.)

Ou plutôt si mais

(Pause.)

Je n’aime pas qu’un homme pleure

(Pause. Le bruit de pleurs se poursuit.)

ARRÊTE MON PAUVRE MON PAUVRE CESSE

(Les pleurs continuent….)

(Le bruit s’arrête. Elle est parfaitement immobile. Bruit

de distances et de grands espaces. Un plateau apparaît,

chargé d’un service à thé. Son mouvement pendulaire se

ralentit jusqu’à s’arrenter.)

Elle est partie

Ma loyale et paresseuse

Partie

Ma

Enfuie

Ma domestique

(Pause.)

 

OH IL FAUT REGARDER DANS L’ABÎME
IL FAUT
QUELQUE CHOSE EST PERDU LORSQUE

(Pause.)

L’on détourne le regard

(Pause.)

Il a de la peine pour moi

Il regrette

Il a succombé

Succombé


La
Pitié

(La cloche sonne.)

Et ce
Oh
L’ineffable

(Pause.)

Raffinement

(Pause.)

De cette sonnerie

 

JE PLEURE
JE PLEURE
PAS POUR MOI
POUR LUI

JE VAIS Y ALLER

(Elle rit d’elle-même.)

Je vais y aller je dis je vais y aller comme si quelqu’un d’autre pouvait le faire elle est partie et qui d’autre pourrait y aller si une personne doit y aller qui d’autre que moi

Cet appel
Qui pourrait y résister
C’est un geste
C’est une promesse
C’est un baiser

(Et à nouveau, la cloche. Elle sourit.)

Quelle subtilité quelle complexité je ne pense pas qu’il le comprenne lui-même

n’est-ce pas merveilleux qu’un homme d’une telle oh d’une telle

(Pause.)

Rigueur

(Pause.)

Puisse en arriver à émettre des signes si contradictoires ?

(Même sonnerie.)

Je n’ai jamais eu d’aversion pour la contradiction bien au contraire elle me ravit mais en cette occasion

NON

NON

C’EST TOUT À FAIT LUI

IL NE PEUT S’ASSEOIR AVEC MOI MAS DÉSIRE MALGRÉ TOUT FAIRE CONNAÎTRE SA PRÉSENCE

 

Voyez-vous

C’est charmant

Charmant

Je suis

(Elle se verse une tasse de thé.)

Charmée

(Tandis qu’elle monte la tasse à ses lèvres, le bruit des

sanglots se fait de nouveau entendre Elle hésite. Elle

continue, s’efforçant d’ignorer le bruit. Un plateau

surgit, avec le même mouvement pendulaire que le

précèdent. Tandis qu’il passe devant ses yeux, elle

s’efforce de discerner ce qui y est posé. Mais le contenu

du plateau est dissimulé par un linge taché. Le plateau, à

mesure qu’il perd son élan, s’arrête. Au même moment,

les pleurs s’interrompent. UND boit, en faisant comme si

elle avait le temps. Puis elle jette la tasse et la soucoupe

en criant.)

EMPORTEZ-MOI ÇA

Elle est partie

EMPORTEZ-MOI ÇA

(Elle se tourne brutalement vers le miroir.)

NOTRE IDYLLE EST FINIE
NOTRE BELLE IDYLE

EMPORTEZ-MOI ÇA

Elle est partie

Elle est partie

EMPORTEZ-MOI ÇA

(Elle pleure, se reprend. Elle approche ses mains du

linge taché. Soudain elle les retire.)

Il me met à l’épreuve

(Pause.)

Impertinent

(Pause.)

Amusant et impertinent

(Une avalanche de fluides sordides tombe des cintres et

la trempe, provoquant son horreur. Son souffle en est

coupé. Elle s’efforce de reprendre son maintien. Elle

tend un bras. Elle gémit de dégoût. Elle retrouve son

immobilité. À force d’une infinie volonté, elle se tourne

face au miroir, sans fléchir.)

Cet homme veut me tuer

(Pause.)

Je ne suis pas une aristocrate
Je suis une Juive

(Sa main s’approche d’un coin du linge sordide posé sur

le plateau. Ses doigts demeurent suspendus. À nouveau

la douce sonnerie. Elle retire promptement le linge. Sa

position face au miroir l’empêche de voir ce qui est ainsi

révèlé, non qu’elle essaie, d’ailleurs.)

Je ne suis pas une aristocrate
Je suis une Juive

(Pause. Douce sonnerie de la cloche

Elle laisse échapper un rire étrange. Elle lâche le miroir, qui se met à osciller. Son tendu d’une corde. Elle se déplace vers les fleurs jaunes posées sur le plateau et y enfouit sa tête. Lorsqu’elle en sort le son a disparu.)

(Soudain elle appelle, et se saisit des fleurs.)

METTEZ-LES DANS UN VASE
Elle n’est pas là
UN VASE
Elle n’est pas là
LE VASE QUI ÉTAIT POSÉ SUR
Elle n’est pas là
MALGRÉ TOUT

(Sa main, dans laquelle elle empoigne les fleurs, est

toujours tendue.)

Malgré́ tout

(Une note. Elle s’efforce de garder le bras tendu, refusant de céder face à l’épuisement. Elle le regarde comme si ce n’était pas le sien. Elle le maintien tendu par la seule force de sa volonté́. Elle se mord la lèvre dans l’effort. Elle laisse échapper un cri étouffé. Elle est au bord de l’évanouissement. Le vase apparait sur un plateau. L’extase que provoque cette vision lui fait oublier sa douleur. Le plateau va et vient et finit par s’immobiliser. Le vase est rempli d’eau fraîche. Elle y laisse tomber le bouquet de fleurs. Délibérément, elle garde le bras tendu.)

Oh comme il m’aime

(Son bras s’affaisse.)

Quel dévouement

Quelle délicatesse
Et quel feu
Il souffre pour moi

(Arrive un sixième plateau. Il se balance devant ses yeux.

Terrifiée à l’idée de voir ce qu’il pourrait contenir, elle

ferme les yeux. Pause. Sonnerie de la cloche.)

Oui
Oui

Oui

Je
Veux
Je
Vais

(Et de nouveau. Elle n’ouvre pas les yeux.)

Je vais j’ai dit

(Elle ne regarde pas.)

Oh écoute
Je ne désire pas savoir combien tu es terrible
À toi plutôt
De savoir à quel point je le suis

(Ses yeux s’ouvrent. Ses yeux se posent sur le plateau,

immobile à présent. Un petit tas de terre, fraichement

creusée, y est posé. Pause.)

Quelqu’un est mort

(Pause.)

Quelqu’un

(Pause.)

Quelqu’un est mort pas moi

(Pause.)

Une petite tombe

il est mort voici sa tombe

(Elle tend un doigt et l’enfonce dans le tas de terre. Elle

s’arrête lorsqu’elle touche le fond.)

Oui
Oui
C’EST LUI PAS MOI
La pitié́
La pitié́
S’écoule de moi
Et les tombes comme celles-ci ne passent pas l’hiver même sous un arbre

(Pause.)

Il ne sonnera plus

S’IL SONNE JE RÉPONDRAI

Mais il ne le fera pas

N’Y ALLEZ PAS

Elle n’est pas là

Elle n’est pas là

S’IL SONNE LAISSEZ-MOI FAIRE

(Pause. Elle ne prête pas attention à son doigt, couvert de terre. Elle le remarque. Elle l’examine comme si ce n’était pas le sien.)

(S’ensuit un terrible bruit de masse. Le martèlement devient progressivement rythme, pulsation, musique. UND ne bouge pas. Le bruit s’arrête.)

Nous

(Le bruit recommence, et continue. UND ne bouge pas.

Enfin le bruit s’arrête.)

Nous

(Et de nouveau.)

Nous

(Pluie, violente, battante.)

D’Adamo – UND

Interview for Classiquenews

March 15, 2024

1 – What elements interested you in the original play and that you particularly wanted to keep in your work?

Among all the subjects present in Barker’s play, I was immediately drawn to those related to sound. They materialize the external threat. These are the sounds of bells, broken windows, knocks on the front door … So many materials with which to generate an electroacoustic part that I wanted to perform around the audience and then install them in a definitely threatening situation. This idea presented a powerful dramaturgical potential.

The fact that it is a monologue was also a point of the text that seduced me. The possibility of composing an opera for a singer, a woman alone on stage, could give to this project, great strength. I had already composed a scenic monodrama (La haine de la musique, 2013) and this very particular form attracts me.

Also, the rhythmic structure, the music that is already present in the text through Barker’s writing style and technique, worked for me like a hook : I immediately heard the musical potential that is present in his play. Then, there is an aspect that is central to UND, which is that of ambiguity and which literally runs through the entire piece. Not only is the situation that Barker presents to us ambiguous, but the actions and decisions that UND makes are also ambiguous. She is constantly faced with opposites: love and hate, gentleness and fury, life and death. She seems imprisoned by opposites, locked between extreme situations. This is produced by the context in which she finds herself, which is of great violence. Barker places us in front of an impossible, contradictory, catastrophic situation. Working with contraries, with opposing elements, presents a concrete musical potential. I was going to be able to navigate between continuity and rupture, to play with stability and shifting, expressiveness and static, to compose the almost empty and the almost full.

Another important aspect is Barker’s use of the principle of return. Some themes in the text are treated as leitmotifs that are systematically varied. In this way, Barker gives them a particular weight and renews the meaning he deploys with each appearance. The force he deploys is then cumulative: this technique is a technique of musical composition. Barker may not know it, or he may not see it as I do, but he knows how to make music, he knows how to compose. And he does it very well!

2 – What role does music play and how did you design the instrumentarium?

It seemed important to me that the music embodies all the facets of UND – her thoughts, her hesitations, her passions, her resolutions, her ambiguities – but also the context in which the situation unfolds.

Barker makes extremely precise choices in the way he structures his writings. He develops many phenomena that are linked to musical processes. Barker writes as if he were composing, singing, shouting, reciting, as if he were playing a musical instrument: a drum kit or a percussion instrument. His writing is also rhythm, intonation and sound. This facilitates the way of making his play sing, the way of intonating each word pronounced by UND and of musically representing the temporality in which Barker enunciates them.

The instruments constantly follow and extend UND‘s singing. The music assumes the meaning and resonance of his words. In La Haine de la musique Pascal Quignard recalls Lucretius, who said that «every place with an echo is a temple», that is to say a space built for and by speech, music and singing, but also listening. This is how I constructed the musical and sound space of this opera, through the musical and instrumental extension of the voice. The instruments were chosen to be able to realize this idea.

UND is threatened by the music and by the sounds that come from the outside world. To accentuate this danger, I understood that all the instruments in the ensemble had to play constantly, that I should not compose duets, trios, quartets, etc. But that the sound and musical presence of all the instruments had to run through the entire opera.

3 – What trajectory does the musical flow follow? Is there a tipping point, a key moment in the work?

The music undresses itself as the work progresses, as UND does on stage. UND strips herself, she loses her clothes, she loses her skin. The music then does the same: it slowly advances towards a stripping down. This is reflected both by the presence of what I call sound bones, when the music then keeps only the essential, what remains; and by a great musical depth, concerning the particular ranges and sonorities that I used. In this context, which also has a terrifying side, the singing becomes very expressive and at the same time soft and fragile. This gives a very particular character to the last third of the opera.

The singing evolves slowly throughout the piece. The more syllabic and chanted singing of the beginning, which is marked by the violent orders that UND gives to her servants, will transform into a singing that is made of more continuous and expressive lines. UND gradually remains alone, she is abandoned. She slowly crosses the stage from left to right. She is flanked by sandstone dogs, of which we do not know if they protect her or if they threaten her. They trace the path that UND will travel. This path is a seesaw: at the end, there is a outcome or an eternal recommencement. But UND can also permanently fall to one side or the other of this thread. She can then be finally protected or definitively devoured. This thread is stretched by the music from the beginning to the end of the piece.

The opera is impacted by the sound of twelve bells: these are the twelve times that the lover-persecutor will ring the doorbell, they are also the twelve dogs that flank UND on the stage that are suddenly lit up with each bell, they come to life. These bells have frequencies that vary and that structure the music that follows each of them.

There is also the constant presence of a prowler. When I met Howard Barker at his home in the south of England, he told me about this presence circling around UND‘s house. I was really struck by his interpretation of his own text. This threat is often translated into the electroacoustic part of the piece, which, like the bells and other external noises, is performed around the audience: this sound world must directly concern the listener and put him under a form of threat. UND‘s story is our own story.

4 – From your point of view, does the music help to clarify the text, that is to say, to give meaning to the end?

When UND gives orders to invisible servants, the music orders with her. It follows each of the syllables she pronounces. Not as a double, but as an amplifier of meaning: her orders are projected all the more strongly as they are then augmented by the instruments. When UND laughs or cries, her laughter and tears become music. The music tracks UND‘s states and materializes them. As she constantly switches between different states of mind, often totally contrasting, this is reflected in the musical dynamics. This changing dynamic characterizes the form of the piece. A terrible moment arrives towards the end of the opera, a huge crash, a mass noise that tries to demolish the door of the house and which sounds – perhaps – the end of UND. But it is the song on the word «We» that she repeats three times in her medium-low range, which deliberately mixes up into the sound of the whole and which will persist to the very end of the piece: yet another door that opens towards new questions, new ambiguities, so important for Barker.

5 – How does UND fit into this moment in your work? Will there be a sequel, an extension?

UND comes at an important moment in my career where I have gradually developed the materials and tools that today construct my musical language. Barker’s piece is a very strong piece, but also complex in its writing. I mentioned above the development of its form, but I could also talk about its syntax, which we sometimes have to interpret and complete ourselves when reading. Barker does not use periods or commas, does not finish certain sentences: he knows how to suggest and provoke in us, the readers, a radical commitment. I am happy to have tackled this demanding text and to have moved it to the field of music and opera.

The work of reflection and development that we did with Julie Delille was crucial in the musical development of the text. Julie brought me a lot through her aesthetic, theatrical and political positioning in the face of this implacable piece. Then came the stage of working with Gaëlle Méchaly, for whom I partly composed and adjusted the vocal part, taking into account her immense qualities as a singer and artist. All of this is present in the music of UND.

Composing an opera is the fruit of exchanges and collaborations. Working in a team is an extraordinarily rich adventure that I would like to be able to continue quickly as part of a new stage project, perhaps in a larger format. Howard Barker told me about an opera libretto that he wrote recently. He just sent it to me by email. I will dive into it right away!

At the same time, I will continue my research on pieces that could be adapted to opera. I was tempted by Bernard-Marie Koltès’ play Combat de nègre et de chiens which has fabulous musical and stage potential. All of this needs to be matured and continued, but yes: I need to be able to extend my work on the opera.

6 – Why this title?

The opera takes up the original title of the play. I did not ask Barker himself about the reason for his title, which is quite enigmatic, indeed. There are several interpretations about it. Some see it as a link between two worlds which, if they are fatally linked, will always remain antagonistic. The space between these two worlds is the thread that UND crosses.

The question you ask may not have an answer. But asking it, asking it to yourself, then opens up new ways and leaves the questions open. This feeds the ambiguity of the story: it is Barker.

 

D’Adamo  –UND

Interview écrite pour Classiquenews

15 mars 2024

1 – Quels sont les éléments qui vous ont intéressé dans la pièce originelle et que vous avez particulièrement souhaité conserver dans votre ouvrage ?

Parmi tous les sujets présents dans la pièce de Barker, j’ai été tout de suite attiré par ceux qui ont un rapport avec le son. Ils matérialisent la menace extérieure. Ce sont des sons de cloches, de vitres brisées, de coups sur la porte d’entrée … Autant de matières avec lesquelles générer une partie électroacoustique que je voulais diffuser autour du public et l’installer alors, dans une situation menaçante. Cette hypothèse présentait un potentiel dramaturgique puissant.

Le fait qu’il s’agisse d’un monologue a été aussi un point du texte qui m’a séduit. La possibilité de composer un opéra pour une chanteuse, une femme seule sur scène, pouvait donner à ce projet une très grande force. J’avais déjà composé un monodrame scénique (La haine de la musique, 2013) et cette forme si particulière, m’attire.

Aussi, la structuration rythmique, la musique qui est déjà présente dans le texte à travers le style et la technique d’écriture de Barker, ont fonctionné pour moi comme un hameçon : j’ai tout de suite entendu le potentiel musical qui est présent dans son travail.

Puis, il y a un aspect qui est central dans UND, qu’est celui de l’ambigüité et qui traverse littéralement toute la pièce. Non seulement la situation que nous présente Barker est ambiguë, mais les actions et les décisions que UND prend le sont aussi. Elle est mise en permanence face à des contraires : l’amour et la haine, la douceur et la furie, la vie et la mort. Elle semble comme emprisonnée par des contraires, enfermée entre des situations extrêmes. Cela est produit par le contexte dans lequel elle se trouve, qu’est d’une très grande violence. Barker nous met devant une situation impossible, contradictoire, catastrophique. Travailler avec des éléments contraires, opposés, présente un potentiel musical certain. J’allai pouvoir naviguer entre la continuité et la rupture, jouer avec la stabilité et le basculement, l’expressivité et le statisme, composer le presque vide et le presque plein.

Un autre aspect important est l’utilisation que fait Barker du principe de retour. Certains thèmes du texte sont traités comme des leitmotivs qui sont systématiquement variés. Ainsi, Barker leur donne un poids particulier et renouvelle le sens qu’il projette à chaque apparition. La force qu’il déploie est alors cumulative : cette technique est une technique de composition musicale. Barker ne le sait peut-être pas, ou il ne le voit pas comme je le vois, mais il sait faire de la musique, il sait composer. Et il le fait très bien !

2 – Quel rôle joue la musique et comment avez-vous conçu l’instrumentarium ?

Il m’a semblé important que la musique incarne à la fois toutes les facettes de UND – ses pensées, ses hésitations, ses passions, ses résolutions, ses ambiguïtés – mais aussi le contexte dans lequel la situation se déroule.

Barker fait des choix extrêmement précis dans la manière comment il structure ses écrits. Il y développe de nombreux phénomènes qui sont liés à des processus musicaux. Barker écrit comme s’il composait, comme s’il chantait, criait, récitait, comme s’il jouait d’un instrument de musique: une batterie ou de la percussion. Son écriture est rythme, intonation et son. Cela facilite la manière de faire chanter son écriture, la manière d’entonner chaque mot prononcé par UND et de représenter musicalement la temporalité dans laquelle Barker les énonce.

Les instruments suivent et prolongent en permanence le chant de UND. L’écriture assume le sens et la résonance de ses paroles. Dans La Haine de la musique Pascal Quignard rappelle Lucrèce, qui dit que « tout lieu à écho est un temple », c’est-à-dire un espace construit pour et par la parole, par la musique et le chant, mais aussi par l’écoute. C’est de cette manière que j’ai construit l’espace musical et sonore de cet opéra, par le prolongement musical et instrumental de la voix. Les instruments ont été choisis pour pouvoir réaliser cette idée.

UND est menacée par la musique et par les sons qui viennent du monde extérieur. Pour accentuer ce danger, j’ai compris que tous les instruments de l‘ensemble devaient jouer constamment, que je ne devais pas composer des duos, trios, quatuors, etc. Mais que la présence sonore et musicale de tous les instrumentistes devait traverser tout l‘opéra.

3 – Quelle trajectoire suit le flux musical ? Y a-t-il un point de bascule, un moment clé dans l’œuvre ?

Comme UND le fait sur scène, la musique se dévêt au fur et à mesure que l’œuvre avance. UND se dépouille, elle perd ses vêtements, elle perd sa peau. La musique fait alors de même : elle avance lentement vers un dépouillement. Ceci se traduit à la fois par la présence de ce que j’appelle des ossements sonores, quand la musique ne garde alors que l’essentiel, ce qui reste ; et par une grande profondeur musicale, au niveau même des tessitures et des sonorités utilisées. Dans ce contexte, qui a aussi un côté terrifiant, le chant devient très expressif et à la fois doux et fragile. Cela donne un caractère très particulier au dernier tiers de l’opéra.

Le chant évolue lentement tout au long de la pièce. Le chant plus syllabique et scandé du début, qui est marqué par les ordres violents que UND donne à ses domestiques, va se transformer en un chant fait de lignes plus continues et expressives. UND reste progressivement seule, elle est abandonnée. Elle traverse lentement la scène de jardin à cour. Elle est flanquée par des chiens en grès, dont nous ne savons pas s’ils la protègent ou s’ils la menacent. Ils tracent le chemin que UND parcourra. Ce chemin est un terrain de bascule: au bout, il y a un dénouement ou un éternel recommencement. Mais UND peut aussi en permanence tomber d’un côté ou de l’autre de ce fil. Elle pourra alors être enfin protégée ou définitivement dévorée. Ce fil est tendu d’un bout à l’autre de la pièce par la musique.

L’opéra est impacté par le jeu de douze coups de cloche : ce sont les douze fois que l’amant-bourreau sonnera à la porte, ce sont aussi les douze chiens qui flanquent UND sur la scène qui sont subitement éclairés à chaque coup de cloche, ils prennent vie. Ces cloches ont des fréquences qui varient et qui structurent la musique qui les suit.

Il est aussi question de la présence constante d’un rôdeur. Lors de ma rencontre avec Howard Barker chez lui dans le sud de l’Angleterre, il m’a parlé de cette présence tournant autour de la maison de UND. L’interprétation qu’il a faite de son propre texte m’avait alors beaucoup frappé. Cette menace est souvent traduite dans la partie électroacoustique de la pièce qui, comme les cloches et autres bruits extérieurs, est diffusée autour du public : ce monde sonore doit concerner directement l’auditeur et le mettre également sous une forme de menace. Le récit de UND est notre propre récit.

4 – De votre point de vue, la musique permet-elle de clarifier le texte, c’est à dire de donner un sens à la fin ?

Quand UND donne des ordres à des domestiques invisibles, la musique ordonne avec elle. Elle suit chacune des syllabes qu’elle prononce. Non comme un double, mais comme un amplificateur de sens : ses ordres sont projetés de manière d’autant plus forte qu’ils sont alors augmentés par les instruments. Quand UND rit ou pleure, ses rires et ses pleurs deviennent musique. La musique suit à la trace les états de UND et les matérialise. Comme elle bascule en permanence entre différents états d’âme, souvent totalement contrastants, cela se reflète dans la dynamique musicale. Cette dynamique changeante, caractérise la forme de la pièce.

Un moment terrible arrive vers la fin de l’opéra, un énorme fracas, un bruit de masse qui tente de démolir la porte de la maison et qui sonne – peut-être – la fin de UND. Mais c’est le chant sur le mot « Nous » qu’elle répète trois fois dans sa tessiture medium-grave, qui se confond volontairement dans le son de l’ensemble et qui persistera à la toute fin de la pièce : encore une porte qui s’ouvre vers de nouveaux questionnements, de nouvelles ambiguïtés si chères à Barker.

5 – Comment se situe Und à ce moment de votre travail ? Y aura-t-il une suite, un prolongement dans cette voie ?

UND arrive à un moment important de mon parcours où j’ai progressivement développé les matériaux et les outils qui construisent aujourd’hui mon langage musical. La pièce de Barker est une pièce très forte, mais aussi complexe dans son écriture. J’ai évoqué plus haut l’élaboration de sa forme, mais je pourrais aussi parler de sa syntaxe, qu’on doit parfois interpréter et compléter nous-mêmes lors de la lecture. Barker n’utilise pas les points ou les virgules, ne finit pas certaines phrases : il sait suggérer et provoquer en nous, lecteurs, un engagement radical. Je suis heureux d’avoir abordé ce texte exigeant et de l’avoir déplacé sur le terrain de la musique et de l’opéra.

Le travail de réflexion et d’élaboration que nous avons fait avec Julie Delille a été crucial dans le cheminement musical du texte. Julie m’a beaucoup apporté à travers son positionnement tant esthétique, que théâtral et politique face à cette pièce implacable. Est venue ensuite l’étape du travail avec Gaëlle Méchaly, pour qui j’ai en partie composé et ajusté la partie vocale en tenant compte de ses immenses qualités de chanteuse et d’artiste. Tout cela est présent dans la musique de UND.

La composition d’un opéra est le fruit d’échanges et de collaborations. Travailler en équipe est une aventure extraordinairement riche que j’aimerais pouvoir poursuivre rapidement dans le cadre d’un nouveau projet scénique, peut-être dans un format plus grand. Howard Barker m’avait parlé d’un livret d’opéra qu’il a écrit récemment. Il vient de me l’envoyer par e-mail. Je vais y plonger tout de suite !

Parallèlement, je vais poursuivre mes recherches sur des pièces susceptibles d’être adaptées à l’opéra. J’ai été tenté par la pièce de Bernard-Marie Koltès Combat de nègre et de chiens qui a un potentiel musical et scénique fabuleux. Tout ceci est à mûrir et à poursuivre, mais oui : j’ai besoin de pouvoir prolonger mon travail sur l’opéra.

6 – Pourquoi ce titre ?

L’opéra reprend le titre original de la pièce de théâtre. Je n’ai pas posé la question à Barker lui-même sur le pourquoi de son titre, qui est assez énigmatique, en effet. Il existe plusieurs interprétations à son sujet. Certains le voient comme un trait d’union entre deux mondes qui, s’ils sont fatalement liés, resteront toujours antagoniques. L’espace entre ces deux mondes est le fil que UND traverse.

La question que vous posez, n’a peut-être pas de réponse. Mais la poser, se la poser, ouvre alors des voies et laisse les questionnements ouverts. Cela alimente l’ambiguïté du récit : c’est du Barker.